par Rachel Ethier, étudiante en enseignement de l’art dramatique à l’UQAM
Catherine Barlow a fait ses études en enseignement des arts à l'UQTR, en plus d’une formation en théâtre au Cégep de Saint-Hyacinthe et des études supérieures en gestion culturelle au HEC de Montréal. Depuis 2 ans, elle enseigne l’art dramatique et les arts visuels à des jeunes de prématernelle jusqu’à la 12e année à l’école Allain St-Cyr à Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest. Voici donc une entrevue réalisée avec cette enseignante inspirante et inspirée.
Le milieu de l’enseignement n’est pas une tâche facile… C’est bien connu. Dans la métropole, les enseignants spécialistes en arts se retrouvent souvent à bout de souffle, virevoltant dans plusieurs écoles avec des classes bondées d’élèves afin de remplir leur tâche. Mais, si du jour au lendemain, ce tohu-bohu se transformait en une source d’inspiration, un défi créatif plus humain et valorisant? Si, du jour au lendemain, vous laissez tout derrière pour aller vers l’inconnu, le froid intense et les aurores boréales? Si on vous offrait un poste dans le Grand Nord, que feriez-vous?
C’est ce que Catherine Barlow, enseignante spécialiste en arts, a choisi. Elle s’est laissé séduire par le grand défi qui l’attendait ainsi que par sa soif de rendre aux élèves un enseignement des plus signifiants.
R.E. : Pourquoi choisir d’enseigner à Yellowknife plutôt qu’à Montréal, par exemple?
C. B. : Non seulement le salaire ici est le plus élevé en Amérique du Nord pour ce qui est de l’enseignement, mais la clientèle est fort intéressante. Je côtoie des enfants francophones de différentes cultures venus de différentes provinces et territoires à travers le Canada, certains de passage pour quelques années et d’autres enracinés depuis toujours. Bien sûr, l’aspect nordique m’a plus interpellée après avoir enseigné la géographie à Montréal. Je n’étais pas vraiment sortie du Québec plus de deux semaines et je sentais un besoin de liberté s'émanciper en moi, une envie d’être loin de toutes mes références, afin de faire place au neuf dans mon existence.
R.E. : Qu’est-ce qui a motivé ton choix de te lancer dans cette grande aventure?
C.B. : J’avais envie de nouveaux défis et d’enseigner l’art dramatique à temps plein et dans une seule école. À Montréal, j’ai fait l’expérience d’enseigner dans trois écoles durant la même année et je ressentais un manque d’appartenance. Je me retrouvais à enseigner le mime pour des clientèles allophones. Bien que les groupes fussent agréables, je ne vivais pas mon rêve : enseigner dans ma langue d’origine et pouvoir produire des pièces de théâtre.
R.E. : Quel a été ton plus grand défi au début de ta carrière d’enseignante à Yellowknife?
C.B. : Sans aucun doute, un grand défi a été de gérer ma charge de travail (planification) et mon horaire chargé. La vie dans le Nord nécessite beaucoup d’adaptation tant au niveau du logis, de la température, du coût de la vie, de la culture que des transports. La vie est différente ici et ça demande une période de transition pour trouver un rythme naturel et fluide, mais ça en vaut la peine.
R.E. : Est-ce valorisant d’enseigner l’art dramatique en région éloignée?
C.B. : C’est extrêmement valorisant. À Allain St-Cyr, l’école où j’enseigne, il n’y avait pas de cours d’art dramatique. Les élèves ressentaient un besoin de créativité, une avidité de lâcher leur fou tout en apprenant. Depuis deux ans, je contribue à ce sentiment de liberté et de folie en favorisant leur créativité à l’aide de diverses formes théâtrales. Que ce soit par l’improvisation, les fables, l’écriture, le théâtre d’ombres ou le jeu clownesque, les jeunes s’émancipent et sont reconnaissants de pouvoir explorer cette forme d’art.
R.E. : Qu’est-ce qui différencie ton approche pédagogique à Yellowknife de celle des enseignants de la métropole?
C.B. : Je dirais que la proximité que j’ai avec les élèves est très différente. À l’école où j’enseigne, on ne compte que 128 élèves. Mes élèves, je les croise partout ; à l’épicerie, dans la rue… Les parents sont aussi très présents, la communauté étant petite, mais très active. Mon enseignement est valorisé par les parents qui ne me mettent aucune pression, ce qui rend mon travail précieux. Je sens que les parents voient l’effet positif que les arts ont sur leur enfant. Aussi, un aspect immense différencie mon approche : le nombre d’élèves par groupes. À Montréal, j’aurais une classe de 33 élèves en 4e secondaire. Ici, j’en ai seulement quatre pour ce niveau. Évidemment, enseigner le jeu dramatique à quatre élèves plutôt qu’à trente-trois est incomparable. Je peux me permettre d’aller plus en profondeur dans la matière, d’établir des liens plus forts et de prendre le temps de discuter de sujets plus personnels selon leurs besoins.
Le fait d’être dans le Nord apporte aussi une saveur autochtone dans le quotidien et dans les thèmes abordés. La rigueur de l’hiver, les activités culturelles, le plein air et la présence de la communauté Déné (peuple autochtone du TNO) influencent ma pédagogie. Ici, le respect des différences et l’humilité devant la préséance de ces communautés autochtones sont capitaux. Les francophones étant minoritaires à Yellowknife, nous avons un mandat d’inclure dans notre approche des traditions et des thèmes en lien avec cette culture nordique qui était présente bien avant nous afin de propager l’histoire et de ne pas oublier le sort infligé aux Autochtones. Je priorise donc les contes et légendes nordiques tout en incorporant la faune et la nature à mes activités.
R.E.: Quels sont les liens que les jeunes ont avec l’art dramatique et les arts en général?
C.B. : Les jeunes sont plongés dans les arts traditionnels comme le perlage, le tissage, la couture et la peinture de paysages nordiques. Ils côtoient l’esthétique autochtone depuis leur enfance. Cependant, ils ne sont pas familiers avec le répertoire classique français. Ils sont toutefois très enthousiasmés d’interpréter L’Avareou Le Bourgeois gentilhomme de Molière une fois que je les ai mis au parfum du style théâtral. Autrement dit, je dois bâtir leur culture dramatique de A à Z, en plus de créer des histoires à partir de leur réalité.
R.E. : Comment est la culture à Yellowknife?
C.B. : Nous avons une association culturelle (AFCY) et une salle de spectacle à vocation artistique-autochtone (NACC). Aussi, dès l’an prochain, mon école aura sa propre salle de spectacle tout équipée dès novembre prochain. En ville, il y a des activités d’improvisation, des thématiques suivant les saisons (deux saisons : été et hiver). Il y a aussi la radio communautaire, Radio Taïga, pour laquelle j’ai fait plusieurs chroniques humoristiques ainsi que le journal francophone l’Aquilon, qui met en valeur les gens d’ici.
J’ai été très présente depuis deux ans dans les spectacles culturels et le bénévolat. J’ai été invitée à chanter le Ô Canadaversion bilingue à la fête du Canada l’an passé et j’ai été la directrice artistique de Chant’ouest, un concours d’envergure mettant en vedette des interprètes musicaux du Nord-Ouest canadien. Cet évènement a été mis en ondes en direct par la CBC et le tout a duré une semaine complète. Il y a quelques artistes locaux comme Quantum Tangle, Yves Lécuyer (gagnant de Polyoniken Alberta), mais la plupart viennent des alentours.
R.E. : En quoi l’art dramatique contribue-t-il au développement affectif et social des jeunes en région éloignée?
C.B. : Dès leur bas âge, les jeunes sont exposés aux sports, mais sont souvent peu en contact avec les arts. Faire de l’improvisation, apprendre à comment se comporter en tant que spectateurs respectueux et à l’écoute, interpréter des personnages et ressentir des émotions… c’est une nouveauté pour eux. Les élèves développent leurs habiletés sociales à communiquer de manière éloquente, claire et sensible. Ils apprennent à mieux régler les conflits entre eux, à dédramatiser leur quotidien, à développer leur genre comique et à être mieux dans leur peau. L’art dramatique est hautement significatif dans plusieurs aspects de leur vie.
R.E. : Quelles sont tes plus belles réussites avec les élèves?
C.B. : Les pièces de théâtre de Noël. Depuis deux ans, avant les fêtes, j’écris et présente de courtes histoires devant les parents et la communauté. C’est un évènement qui est gratifiant pour les élèves, mais aussi pour moi. L’an prochain, pour le lancement du nouveau gymnase et de la salle de spectacle, nous préparerons une comédie musicale (de mon cru) incluant les jeunes les plus talentueux de l’école. Ce sera un gros évènement et j’ai bien hâte !
R.E. : Si tu pouvais retourner en arrière, ferais-tu toujours le choix d’aller enseigner à Yellowknife?
C.B. : Oui, sans aucun doute. Lorsque j’ai choisi de faire le grand saut vers le Nord, je savais que j’aurais de grands défis à relever, mais j’avais peu d’attentes. J’ai maintenant plusieurs cordes à mon arc. Ma vie ici influencera positivement ma vie future à mon retour au Québec.
R.E. : Pour finir, quel(s) conseil(s) donnerais-tu à un(e) enseignant(e) qui veut aller travailler en région éloignée?
C.B. : Informez-vous sur le lieu (ville, école, communauté, etc.) avant d’y habiter. Soyez ouverts aux différences et ne jugez pas les gens par leur passé. Aussi, impliquez-vous dans la communauté. Il y a un bon nombre d’opportunités dans les régions éloignées et celles-ci peuvent changer vos vies et vos perceptions. Prenez ce qui passe et vous en ressortirez grandis!
L’art dramatique s’est taillé une place dans les glaces de Yellowknife pour le plus grand bien des jeunes et de leur communauté. Merci, Catherine Barlow, de repousser les limites du monde culturel!
Catherine et une de ses élèves en plein air à Yellowknife.
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