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Un texte québécois monté en France – Entrevue avec Dinaïg Stall

par Valérie Bertrand, étudiante en 4e année au baccalauréat en enseignement de l’art dramatique


Professeure à l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), Dinaïg Stall enseigne la marionnette, le théâtre d’ombres et le théâtre d’objets. Elle découvre le théâtre à l’âge de 15 ans, lors des portes ouvertes des options artistiques d’un lycée français. Passionnée par son art, elle accepte de nous raconter l’un de ses projets en entrevue.



V.B. : Tout d’abord, pourquoi as-tu choisi la marionnette comme médium artistique?

D.S. : Ce qui me touche, [c’est le] fait de pouvoir raconter des choses qui viennent faire appel à notre imaginaire et à nos émotions, sans forcément passer par le texte. Je ne peux pas m’ennuyer avec un médium comme celui-là, parce qu’il y a tellement de possibilités, de matériaux avec lesquels on peut travailler, d’esthétiques différentes qu’on peut développer, des techniques variées. Tu peux faire du théâtre d’ombres, de la marionnette sur table, des grandes formes en papiers mâchés ou même dans la rue… tout ça, c’est de la marionnette.


V.B. : Peux-tu nous en dire un peu plus sur tes origines?

D.S. : Je suis franco-allemande, c’est-à-dire que ma mère est française et mon père est allemand, mais j’ai vraiment grandi en France. Je n’ai pas eu l’occasion de faire des projets en Allemagne, j’ai surtout travaillé en France.


V.B. : Est-ce qu’il y a une différence en ce qui concerne la didactique ou les techniques d’enseignement en France comparativement au Québec?

D.S. : Ce qui n’est pas évident pour moi [en ce qui concerne l’enseignement], c’est qu’en France je n’étais pas professeure. Quand j’enseignais, en fait quand je transmettais, c’était toujours dans un contexte où j’étais artiste-intervenante. Par exemple, ce qui existe ici, la notion d’artiste pédagogue, ça n’existe pas en France. Souvent, les professeurs en option théâtre sont des professeurs de français qui sont passionnés de théâtre et qui, de ce fait, font appel à des artistes de l’extérieur, et il y a des budgets pour que des artistes viennent enseigner dans les cours. Moi, j’apprends énormément en transmettant, même si c’est vraiment très banal de dire ça.


V.B. : Peux-tu maintenant nous parler d’un projet en particulier que tu as réalisé en France avec des élèves?

D.S. : J’ai rencontré, en 2010, dans un super stage international autour de la création pour la petite enfance, David Paquet[1]et on a très vite sympathisé. On avait des affinités à la fois humaines et artistiques, et je lui ai demandé si je pouvais lire ses pièces. Il m’a d’abord fait lire Porc-épicque j’ai vraiment beaucoup aimée, et ensuite il m’a fait lire une pièce qui, à l’époque, n’était pas éditée. C’est la pièce 2h14qui avait été montée ici. J’ai adoré ce texte et il est resté dans ma tête. Moi, tant que je ne vois pas comment m’emparer de quelque chose avec mon outil à moi, [c’est-à-dire] la marionnette dans tous les sens du terme, eh bien je n’y touche pas. Un des professeurs avec qui je travaillais beaucoup au Lycée Valin à La Rochelle m’a [demandé de monter] le spectacle de fin d’année avec le groupe. Il m’a proposé plusieurs textes qu’il aimait beaucoup et je me disais : « Ils sont chouettes, ce n’est pas le problème, mais je ne vois pas comment m’en emparer ». Un matin au réveil, je me suis dit : « Quand même, c’est bête parce que ce texte, 2h14, c’est des personnages de leur âge. Ça leur parlerait vraiment beaucoup. J’aime le fait que c’est en français, mais c’est une autre langue, parce que c’est vraiment écrit dans un français québécois. Donc, il y a une distance qui est là, mais pas complètement. J’aimerais ça, moi, monter cette pièce avec des étudiants, mais pourquoi la marionnette? » Puis soudainement, j’ai eu ce que j’appelle mon image nombril : cette espèce de chose qui m’indique l’origine d’un projet où je me dis [que deux choses] peuvent aller ensemble. Je ne pense pas que je dévoile des éléments à beaucoup de gens, mais 2h14[est une pièce qui aborde le thème de la mort d’élèves] qui ont été tués dans une fusillade dans une école. J’ai vu l’image de la salle de classe, comme si le public était au fond de la classe avec les bureaux un peu défaits et les corps des marionnettes dans l’espace. Parce qu’évidemment, la marionnette, c’est aussi une de ses forces de pouvoir transmettre la mort d’une façon qui est extrêmement convaincante, car le moment de la convention ce n’est pas le moment où tu la « tues ». Ce n’est pas comme un comédien qui est vivant. On sait qu’il est vivant et quand il est « mort », quand le personnage est mort, on sait très bien que le comédien n’est pas mort, alors que la marionnette, toute sa lutte, c’est la vie. C’est le fait d’être crédible en scène et qu’on la pense vivante. Une fois que tu as réussi à ce que le public se rende là, eh bien si tu la lâches, elle meurt vraiment. Donc, j’ai eu cette image-là : des corps des marionnettes, des personnages dans l’espace, personnages qui n’existaient pas du tout encore! Je me suis dit : « Ah, mais oui je pense qu’en fait, ça fait du sens de monter ce spectacle-là avec des marionnettes et avec des ados ». Donc, j’ai proposé ce projet-là. Du coup, j’ai trouvé des partenaires pour que David puisse venir en résidence d’écriture pendant deux mois à La Rochelle, dans un endroit génial qui s’appelle le Centre intermonde, donc en plus, il a vu les étudiantes et les étudiants travailler et de temps en temps il venait. C’était fou! Ça a duré deux mois et demi à peu près. On se voyait une fois par semaine et les élèves étaient devenus très bons.



V.B. : Qu’est-ce que ce projet t’a apporté personnellement?

D.S. : Le directeur et la directrice de la salle nationale de La Rochelle sont venus voir le projet et ont dit : « Si tu le fais au professionnel, on te suit ». Ça m’a permis de faire, à ce jour, mon plus gros spectacle, et c’est quand même assez rare de voir de la marionnette pour ados et adultes avec ces conditions de production là. Ce n’était pas du tout pour ça que je le faisais au départ, parce que je n’envisageais pas de faire une version au professionnel.


V.B. : Et maintenant, qu’est-ce que le projet a apporté aux élèves selon toi?

D.S. : Quand on a monté la version professionnelle après, il y a plusieurs étudiantes qui étaient lycéennes à l’époque et elles sont venues me voir et elles disaient : « Moi, ça a changé ma vie ce projet », ce qui est quand même ce qu’on peut imaginer de mieux. Je crois que c’est de pouvoir parler de quelque chose qui est très, très, très proche de soi, qu’on ne serait peut-être pas capable de dire de cette façon-là, même par le biais du théâtre, et soudainement [de prendre la marionnette et de se dire] c’est à l’extérieur de moi, c’est le personnage qui parle et je peux exprimer tout un tas de choses. Franchement, je ne sais pas, c’est à elles et eux qu’il faudrait demander ce que ça leur a apporté, mais moi j’ai senti une cohésion de groupe, ils sont sortis de là et ils étaient vraiment ensemble.


V.B. : En réalisant un projet de cette ampleur, tu as dû rencontrer plusieurs défis et difficultés. Voudrais-tu nous en parler?

D.S. : Ça aurait pu être une catastrophe. C’était tellement gros et on avait tellement peu de temps, mais tout s’est tricoté ensemble et c’était assez parfait. Ce que j’ai trouvé dur c’était qu’effectivement, j’ai eu l’impression d’être dans une course. C’était un sprint, mais il a duré 2 mois et demi! En même temps, ce métier, c’est ça aussi, il faut se le dire. Ce que j’ai trouvé intéressant et pas évident au départ, c’est que ce n’est pas tout le monde dans le groupe qui avait envie de travailler avec des marionnettes. Il y avait notamment une fille, je ne me souviens plus très bien de son histoire, mais [elle était un] petit peu [réticente au projet ] et [elle] me voit arriver avec mes marionnettes en disant : « Oh hell no. Moi le texte, je l’aime beaucoup, mais ce n’est pas vrai que je vais toucher à une marionnette ». Puis, je me souviens du jour où on a répété pour la première fois l’avant-dernière scène [où se passe la fusillade]. Tout le monde était investi dans cette scène, sauf [son personnage]. Je me retourne, il y a deux des trois étudiantes [qui jouaient le même personnage] qui sont en pleurs, mais en pleurs, et la « tough girl » qui vient me voir et fait (imitant la jeune fille avec un air sérieux) : « J’comprends là, ton affaire des marionnettes, parce que si ça avait été les copains, euh, qui faisaient semblant d’être morts là, j’aurais trouvé ça nul, mais là, là ça me fait quelque chose ». C’était génial! Même elle avait vu ce à quoi ça servait, ce que ça pouvait permettre de partager. J’étais pas mal fière. C’était ça un peu la difficulté : d’amener tout le monde à comprendre ce que ça permet cette affaire-là. On a tellement cette perception que la marionnette est un truc un peu rigolo ou pour les enfants, et moi ça m’agace toujours parce que les gens qui disent que c’est juste pour les enfants, moi ce que j’entends derrière c’est que ça ne peut pas porter des vrais sujets et ce n’est pas vrai du tout.


V.B. : Pour terminer, comme il s’agit d’une revue sur l’enseignement, aurais-tu des conseils à partager sur ton expérience en tant qu’artiste pédagogue?

D.S. : D’être soi-même intéressé [par sa matière]. Je pense que tu ne peux pas intéresser des gens à quelque chose qui ne t’intéresse pas profondément. Aussi, parce que tu vas répéter un paquet de fois la même affaire. Moi, j’ai été « bluffée » par des spectacles d’enfants de 5 ans. Je pense qu’il faut juste beaucoup aimer ce que l’on enseigne et aimer essayer des choses. De plus, je pense [qu’il faut avoir] de la souplesse, tâtonner, essayer, rater, se dire « hum, attends pourquoi j’ai raté ce truc-là? OK je vais faire autrement ». Parce qu’on a besoin de ça en fait pour apprendre, mais aussi pour être bien avec ce qu’on fait.


Un énorme merci à la passionnante Dinaïg Stall de nous avoir partagé ce magnifique projet!


[1]Auteur québécois, notamment connu pour sa pièce Porc-épic.

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